Tout récemment j'ai reçu une avalanche de messages faisant état d'un appel à pétition. Voilà ce dont il s'agit :
Emmanuel Giboulot, viticulteur biodynamique, annonce qu'il est actuellement poursuivi devant les tribunaux pour avoir refusé de déverser sur ses vignes un dangereux pesticide censé lutter contre
. Le phylloxera à côté, c'est de la petite bière.
Suivait un appel "classique" à aller signer une pétition... Je suis donc déjà allé y voir... pour constater très rapidement qu'il y a des tas de sites qui relaient cette info de passage en correctionnelle d'un viticulteur pour utilisation d'un "dangereux pesticide", avec moult photos représentant une abeille morte, et autres joyeusetés.
Assurément, cela donnait envie de s'associer à ce beau mouvement de solidarité des gentils contre les méchants, sauf que...
Impossible de trouver le nom du produit incriminé… et ça ne semble déranger personne !
…Sauf que j'ai eu beau cliquer partout comme un forcené, je n'ai trouvé nulle part le nom du pesticide incriminé… J'ai bien vu la tête tout à la fois désolée et furieuse du monsieur, j'ai entendu sa voix, j'ai lu des messages de soutien, visionné plein de photos (dont celle de l'abeille....) mais je n'ai trouvé nulle part le nom du produit en question. Peut-être n'ai-je pas eu de chance, peut-être d'autres seront tombés dessus au bout de 2 clics, mais moi pas, c'est ainsi.
Et j'ai trouvé cela fort dommage, car cela m'aurait peut-être permis d'aller faire mes propres recherches, et peut-être de me faire ma propre opinion.
Autant il est vrai qu'on nous raconte n'importe quoi pour nous faire ingérer des tonnes de saletés prétendument saines et inoffensives sans notre consentement, autant j'éprouve le besoin de savoir de quoi il retourne exactement quand je lis "...un dangereux pesticide". Désolé de ne pas me satisfaire de cette simple formulation.
De plus, je m'étonne encore aujourd'hui que ces trois mots ("un dangereux pesticide") suffisent, apparemment, à faire cliquer des tonnes de gens comme un seul homme sur la pétition, sans que le nom de ce si dangereux produit ne soit mentionné nulle part (sauf à passer un temps fou en recherches...).
Attention, je n'affirme pas que le pesticide en question n'est pas dangereux, m'ai j'ai juste éprouvé le besoin de chercher à savoir plus précisément ce dont il s'agissait, c'est tout...
A la pêche aux infos...
J'ai donc tâché de me renseigner auprès de personnes relativement au fait de ces choses-là avant de me prononcer. Par chance, j'ai enfin pu finir y voir plus clair.
Ce qui était annoncé comme "un dangereux pesticide" était en fait un sacré cocktail... pire que ce que je pensais... Pourtant, à l'arrivée, les choses ne sont pas si simples qu'il n'y paraît !
Voici comment j'ai pu arriver (tout seul, comme un grand) à cette conclusion :
Il se trouve qu'une des nombreuses personnes que j'ai sollicitées sur le sujet est une scientifique qui sait garder la tête froide et qui ne se prononce jamais à la légère. De plus, je sais qu'elle n'a a ni
"vendu son âme aux laboratoires", ni
"contracté le virus de la pétitionnite" à chaque fois qu'on lui annonce que des méchants s'en prennent à des gentils.
Elle se déclare elle-même comme n'étant
pas spécialiste du sujet, mais je connais suffisamment ses états de service pour savoir qu'elle est infiniment plus au fait de ces questions-là que je ne peux l'être moi-même.Curieusement, son humilité me fait lire sa prose avec d'autant plus d'attention. Je ne résiste donc pas au plaisir de retranscrire ci-dessous ce qu'elle m'en a dit :
La réponse que j'ai reçue de la part d'une personne beaucoup plus informée que moi
-------------------------- Début de la réponse --------------------------
Difficile sujet.... une vraie saloperie la cicadelle et la flavescence dorée qui nécessite des mesures 'collectives' et peut conduire en cas de dissémination à l'arrachage des vignes.
Il n'y a pas à priori de "traitement propre" curatif, efficace en cas d'infestation, et les divers produits autorisés par la réglementation sont particulièrement toxiques. Il suffit de lire les fiches de sécurité
[... Remarque perso : , il y avait des pièces jointes faisant effectivement état de la toxicité des produits incriminés, produits qu'elle n'avait eu aucun mal à identifier en deux coups de souris à pot, contrairement à moi à la réception de ces fameuses alertes. Je confirme qu'effectivement, ça "ne donne pas envie d'en manger", c'est le moins qu'on puisse dire... :-) Si ça intéresse quelqu'un je tiens ces pièces à disposition...]
Éternel débat autour de la gestion du risque: doit-on mourir du cancer ou des effets secondaires liés à la chimio…
Sauf qu'ici c'est un écosystème qui est en jeu : que l'on traite ou que l'on ne traite pas.
Voilà quelques éléments sans autre prétention que nourrir ta réflexion, mais je ne suis pas une spécialiste du sujet...
-------------------------- Fin de la réponse --------------------------
Mes propres conclusions
Pour ma part je conclus de tout ceci que les choses sont beaucoup plus compliquées que ce qui m'a été tout d'abord présenté dans les appels multiples que j'ai reçus ces jours-ci.
Il est vrai que les "forces de l'argent" s'y entendent parfaitement, et depuis fort longtemps, pour nous faire allègrement passer les vessies pour des lanternes à grand coup d'émotion "marketée", fondée de préférence sur ce qui fonctionne le mieux : la peur (ainsi, nous craignons l'effondrement économique, alors nous
renflouons les banquiers. Nous craignons le terrorisme, alors nous finançons le
plus grand complexe militaro-industriel de tous les temps…).
Mais il est tout aussi vrai que les mouvements alternatifs de tout bord s'y mettent également, et avec la même compétence, s'ils veulent avoir une chance d'être entendus, de faire tout simplement valoir leur cause, et pour tout dire d'exister un tant soit peu dans le grand tintamarre de la planète.
Certains agissent peut-être ainsi à contre coeur, sur l'air de "...C'est pas moi qui ai commencé, m'sieur, c'est l'autre, là, en face...", mais j'avoue éprouver pour ma part les plus grandes difficultés face à cette philosophie de cour de récréation...
Du coup j'ai décidé de ne pas signer cette pétition. En même temps, cela ne fait pas de moi un farouche opposant à la vague des signataires que je devine déjà bien conséquente... que chacun se détermine donc comme il l'entend.
A bientôt,
Bien à vous,
Bernard
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PS : Quelques jours après la publication de ce post, j'ai eu la surprise de trouver un appel à signer ladite pétition en me connectant sur... mon réseau social préféré (Qui commence par un F et finit par un K). Cet appel ne faisait pas partie de l'actualité de mes contacts, mais plutôt de de ce qu'on appelle pudiquement les "publications suggérées" qu'on voit quelquefois en tête de liste. Comme chacun le sait que ce genre de "suggestions" se fait à coup d'espèces sonnantes et trébuchantes, le plus souvent pour des opérations publicitaires. A ma connaissance, la maison F...K n'est pas franchement connue pour des prises de positions publiques. Non seulement cette cause recueille en un temps record des signatures à la pelle, mais voici qu'elle lève apparemment des fonds. Elle a même eu droit à un éditorial dans le...
New York Times du 2 janvier ! La vitesse supérieure paraît enclenchée...
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PPS : Pour moi, le fin mot de l'histoire a été donné par le webzine écolo Terra Eco dans une enquête publiée le 26/02/2014.
Extrait :
Un pavé dans la mare du bio
Un engouement populaire oui. Mais pas un soutien entier du secteur. Certes, le viticulteur peut compter sur l’appui très officiel de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab) [...]. En revanche, lors d’une conférence de presse organisée le 22 février avec d’autres acteurs du secteur, Pascal Lambert, directeur du Service d’éco-développement agrobiologique et rural de Bourgogne (Serdab), un organisme qui travaille au développement du bio dans la région, se désolidarise du viticulteur. Pour lui, il faut « laisser aux professionnels le soin de régler cette problématique importante ».
Car le sujet est épineux et met mal à l’aise la profession. La flavescence dorée ? « Ça se dissémine rapidement et ça peut être mortel pour les vignes. C’est pour ça qu’il y a une obligation à traiter [...]», souligne Virgile Joly, viticulteur du Languedoc-Roussillon et membre de l’association interprofessionnelle Sud Vin bio.
Voici le lien :
http://www.terraeco.net/Viticulture-bio-Pourquoi-Emmanuel,53927.html